Dans la famille Prouvost

les femmes se haussent facilement jusqu’à l’héroïsme. 

L’une d’elle mériterait une longue notice ; 

elle était la fille de Pierre Prouvost et elle garde’ dans les souvenirs de Roubaix le nom pieux et doux de  

Soeur Béatrix Prouvost : 

Toute jeune, au mois de janvier 1749, 

elle é tait rentrée au couvent de saint-Elisabeth de  Roubaix. 

Elle était prieure de son monastère lorsqu’éclata la Révolution. 

Le 2 novembre 1792, des commissaires envoyés par le district de Lille envahissent la maison 

et signifient aux religieuses qu’elles ont à se disperser dans les vingt quatre heures. 

Sœur Beatrix avait alors 65 ans ; elle sortit très calme, sans une plainte. 

Elle était à peine dans la rue qu’on la fit arrêter et écrouer dans la prison de Lille. 

On l’accusait d’avoir caché une brique d’or et fabriqué je ne sais quelles boites de plomb. 

La foule souveraine a besoin de colossales idioties ; on la servait à souhait. 

Sœur Béatrix ne se troubla point ; elle comparut devant le comité révolutionnaire et repoussa du pied l’absurde accusation. 

Elle écrivit une lettre d’ironie sereine qui se terminait par ces mots : 

forte de mon innocence, je ne crains pas de demander au comité la prompte décision de mon affaire et de ma mise en liberté. » 

A l’heure où les femmes les plus héroïques ne savaient que bien mourir, sœur Béatrix eut le courage de se défendre. 

Après une longue captivité, elle sortit de la tourmente saine et sauve mais triste à jamais. 

On la revit dans la famille, portant le deuil de son couvent détruit et de sa mission interrompue. 

Elle s’en alla doucement mais elle ne mourut pas toute entière. 

Son visage resta populaire au foyer des pauvres et au chevet des malades. 

Sœur Béatrix ressuscitera un jour sous le pinceau d’Amédée Prouvost:

c'est bien sa figure qui rayonne dans le "Poème du travail et du rève":

Dans le halo neigeux et frais de son rabat,

Son visage très pur que la coiffe angélise

Se penche, souriant, comme un lys sous la brise,

Vers le moribond blème et las qui se débat.

Près de la couche où lentement il agonise,

Durant ces nuits sans fin où la fatigue abat,

Elle veille, égrenant son rosaire tout bas,

Avec une ferveur suppliante d'église.

Sa robe est vénérée au faubourg populeux

Comme un habit de sainte à l'or miraculeux.

De ses lèvres les mots ainsi que des prières

Viennent au coeur du pauvre apaiser la douleur,

Et ses pieuses mains douces comme des fleurs

Se posent sur les fronts pour fermer les paupières.

Le nom de Béatrix n'était pour Dante qu'un symbole de divine poésie; il sera plus et mieux pour Amédée Prouvost. 

Il le recueillera pieusement comme le symonyme des plus pures gloires de sa maison et il le mettra sur le berceau de sa petite fille."

"Amédée Prouvost" par C. Lecigne, éditions Bernard Grasset, 1911 

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